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INTERVIEW DE ZOULETTE

❖ Tout d’abord, comment t’en es venu à investir la rue ?

 

L’art et la lecture ont été des gardes-fous pour moi enfant. J’ai continué à l’adolescence en transposant mon attrait pour le domaine artistique dans la rue à la manière d’un cri de colère qui ce serait transformé en énergie créative.

❖ Pourquoi avoir choisis "Zoulette" comme pseudonyme ?

Zoulette est un modeste clin d’œil à la Zulu nation.
Fondée en 1973 par Afrika Bambaataa à New-York, ce collectif proposait une alternative pacifiste à la violence urbaine à travers les médias artistiques tels que la danse, la musique et le graffiti. Leur volonté étant la propagation de valeurs humanistes afin que les plus jeunes puissent à leur tour transformer la rage en créativité. Aujourd’hui, cet état d’esprit est toujours fortement véhiculé par des milliers de gens autour du monde qui partagent ces mêmes valeurs et souhaitent les transmettre à leur tour : « Peace, unity, love and havin’ fun ».

 

​❖ Peux-tu présenter ton travail ?

Dans la forme, mon travail a toujours suivi une évolution qui le rend graphiquement changeant au fil tu temps. Enfant, j’ai appris et exploité une large palette de techniques plastiques, adolescente j’ai basculé du côté graffiti de la force et adulte je pioche dans mes amours passées tout en m’inspirant de sources plus actuelles. Par exemple, je suis en train de bosser sur la projection murale en lumière de mes dessins. J’aime beaucoup les collaborations aussi. Donc, quand je fais bifurquer mes techniques, j’ai forcément besoin de faire appel à l’extérieur. Une sorte de recyclage permanent. En revanche, mes valeurs de fond restent sensiblement les mêmes depuis 20 ans : Etre en lien avec l’Autre à travers un regard critique et humaniste.

❖ Comment vis-tu le fait d’être l’une des rares femmes Street artistes ?

Comme un signal fort démontrant une fois de plus que la notion «d’égalité homme-femme » dans nos sociétés est loin d’être résolue. Ça ira mieux quand on parlera d’égalité tout court.

❖ Penses-tu que pratiquer le Street art représente un danger pour les femmes ?

Une liberté plutôt !! Le seul danger, c’est la misogynie et les mentalités rétrogrades.

 

❖ N’as-tu jamais eu de problèmes avec la police ?

Non mais c'est le risque, c’est un stress excitant. C’est un mélange d’interdit et de liberté… 

Je me rappelle qu'une fois ça a bien faillit.
Un soir de 8 mars, j’avais décidé spontanément d’aller graffer sur le mur d’une gare donnant directement sur la nationale reliant Nîmes-Montpellier. 
J’étais sur le point de finir de peindre une petite fille haute en couleur qui scandait :

« Fuck la vaisselle » Sur ce, une voiture de gendarmes arrive pendant que je secoue une bombe de peinture accroupie derrière la portière de ma voiture.
Je prépare mes papiers et commence à ranger mon matos.
Il s’avancent, lampe torche sur la fresque puis sur mon visage et me rétorquent en voyant que j’étais une femme :
-« Oh, excusez-nous de vous avoir dérangé Madame ».
Ils s’imaginaient que je faisais une pause pipi !!
Certes, cool pour moi dans la forme mais dans le fond quelle tristesse…
De toute évidence, il leur était inimaginable qu’une femme puisse avoir fait cela.
Ça en dit beaucoup sur la persistance des représentations personnelles…et ce jusqu’à dans le cadre de la loi !

❖ A ton avis, pourquoi il y a de plus en plus de femmes qui sont séduites par le Street art?

L’art a toujours été une manière de s’émanciper de sa condition pour l’Homme. Une manière de prendre du recul, de digérer, de conceptualiser ce que l’on vit. Il a toujours été l’un des compagnons de première ligne des grands mouvements sociétaux. Après, chacun y investit ce qu’il porte dans ses tripes, ses propres combats.  Et évidemment, les femmes ont toujours été très nombreuses à créer.  Aujourd’hui elles ont davantage la possibilité d’être artistes qu’à la Renaissance… et donc elles se rendent plus visibles. Malgré tout, la reconnaissance institutionnelle de nombreuses grandes artistes féminines (toutes époques confondues) fait encore débat aujourd’hui.  Peindre dans la rue quand on est une femme, c’est affirmer sa liberté d’agir. Quand on est dans la rue, on est pas aux fourneaux. La culture est le miroir d’une société : elle est le témoin et le révélateur de son fonctionnement.

❖ Penses-tu que les femmes subissent des inégalités et discriminations vis-à-vis des hommes dans ce milieu, par exemple j’ai pu observer qu’il y a moins de femmes exposer dans les musées ?

Biensûr. C’est malheureux mais un fait et cela rejoins ce que j’ai commencé à dire plus haut.
Le sexisme est actif dans tous les milieux. Et dans l’art comme partout ailleurs.
Ceux qui le subissent peuvent en retirer une force incroyable, une sorte de « résilience artistique » dans ce cas de figure par exemple
.

❖ Crois-tu que l’art de rue puisse perdre de sa force, à cause de sa valeur marchande ?

Clairement non. Est-ce que la qualité de travail et l’intégrité d’un employé est annulée parce qu'il perçoit un salaire à la fin du mois ? C’est impensable.
Je ne vois pas pourquoi un artiste devrait rougir quand il se fait rémunérer.
Au contraire, quand on est bien rémunéré pour ce que le fait, on a les moyens de continuer faire son travail dans de bonnes conditions, d’être plus productif et motivé.
C’est une façon de reconnaître l’Autre dans sa compétence, de l’encourager.
Qui irait au bureau avec le sourire en ayant le ventre et les poches vides ?
Dans le domaine professionnel, l’argent est le vecteur de cette reconnaissance.
Plus on est reconnu, plus on gagne en force.

Propos recueillis par Eya Chikhaoui

C’est dans une interview exclusive, que l’artiste ZOULETTE, évoque l’évolution des femmes dans le milieu du Street art ainsi que les inégalités qu’elles subissent. Ainsi que les frissons et le stress que lui procure l’illégalité de cet art. Elle explique que « c’est un mélange d’interdit et de liberté ».

Le Street art est un moyen de s'émanciper, selon elle, «peindre dans la rue quand on est une femme, c’est affirmer sa liberté d’agir.»

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